La signification de la couleur en architecture
par Theo van Doesburg
« Il s’agit de distinguer nettement les trois principales tendances de l’architecture, étant donné que cela est d’une grande importance pour l’application de la couleur.
1. L’architecture décorative.
2. L’architecture constructive, exclusivement utilitaire.
3. L’architecture plastique.
En architecture décorative, la couleur est un moyen dont on se sert pour décorer les surfaces créées par l’architecture. La couleur est ici exclusivement ornementale, sans former une unité avec l’architecture ; elle reste donc un élément indépendant qui, au lieu de donner plus de force à l’édifice, ne fait que le camoufler et, dans les cas extrêmes, le détruit (période baroque).
Dans l’architecture constructive, qui sert exclusivement les besoins matériels, la couleur n’a pas d’autre rôle que d’accentuer davantage encore, par une teinte absolument neutre gris, vert, brun l’élément qui relie et unifie l’architecture et de protéger le bois, le fer, etc., contre l’action de l’humidité. En conséquence, elle conduit à l’accentuation du caractère constructif, anatomique, de l’architecture.
L ’architecture utilitaire ne tient compte que du côté pratique de la vie ; la mécanique fonctionnelle de la vie, de l’habitat, du travail, etc.
Mais il existe encore une autre nécessité que celle purement pratique, à savoir une nécessité spirituelle. Du moment que l’architecte ou l’ingénieur veulent rendre visibles les rapports équilibrés des proportions, c’est-à-dire exprimer comment un mur se comporte en relation avec l’espace, leurs intentions ne sont plus exclusivement constructives, mais également plastiques. Dès que l’on rend visible, que l’on accentue ces rapports, y compris ceux des matériaux, l’esthétique entre
en jeu. Exprimer consciemment des rapports équilibrés est faire œuvre plastique.
Arrivée à ce stade, « le stade de l’architecture plastique », la couleur devient une matière d’expression, de valeur équivalente à tous les autres matériaux tels que la pierre, le fer, le verre, etc. Alors la couleur ne sert pas seulement à l’orientation, c’est-à-dire pour rendre visible la distance, la position, la direction des volumes et des objets, mais surtout afin de satisfaire le désir de rendre visibles les rapports mutuels entre les espaces et les objets, de direction à la position, de mesure à la direction, etc. C’est dans l’ordonnance de ces proportions que réside le rôle esthétique de l’architecture. Si alors on atteint à l’harmonie, on atteint également au style. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans d’autres démonstrations ; un équilibre ne peut être atteint que par un partage judicieux entre l’ingénieur, l’architecte et le peintre. Arrivée à ce stade, l’architecture aura dépassé sa période purement constructive, durant laquelle elle s’est épurée. Aussi elle ne se contente plus de montrer son anatomie, elle est devenue un corps indivisible et animé… »
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in La Cité : urbanisme, architecture, art public, vol. 4, # 10, Bruxelles, mai 1924